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|
|
|
|
Pays |
Bouddhistes |
Musulmans |
Chrétiens |
Autres |
Commentaires |
|
Birmanie |
89,4 (85) |
3,9 (4) |
4,9 (3) |
1,8 (4) |
Sites
bouddhistes majeurs. Beaucoup de Chrétiens baptistes, surtout minorité
karen. |
|
Brunei |
13,0 |
64,0 |
8,0 |
15,0 |
|
|
Cambodge |
88,0 (90,0) |
2,4 (2,0) |
0,6 (1,0) |
9,0 |
L’islam a connu une
effroyable persécution méconnue des Khmers
Rouges. |
|
Indonésie |
1,0 |
87,0 85,0 |
9,0 8,0 |
3,0 |
“Plus grand pays
musulman du monde”, mais laïc et syncrétiste. Minorité chrétienne
organisée. Tensions religieuses depuis la chute de Suharto.
|
|
Laos |
58,0 (90) |
1,0 |
2,0 |
39,0 |
Animisme
très présent chez les montagnards. |
|
Malaysia |
6,0 |
50,0 |
6,0 |
38,0 |
|
|
Philippines |
|
5,0 |
94,0 80 |
1,0 |
Seul pays à majorité
chrétienne d’Asie. Rébellion des Musulmans à
Mindanao |
|
Singapour |
7,0 |
16,0 |
10,0 12,6 |
67,0 |
Religions
chinoises majoritaires. Le confucianisme est une des clés de la réussite
singapourienne. |
|
Thaïlande |
95,0 (94,0) |
3,8 (4,0) |
0,6 (1) |
0,6 |
Limite
méridionale du bouddhisme mondial |
|
Vietnam |
55,0 |
1,0 |
7,0 |
37,0 |
Influence
confucéenne. Minorité catholique ancienne, forte, souvent persécutée.
Nombreuses minorités. |
|
Total région
|
32,0 |
39,0 |
19,0 |
10,0 |
|
Les quatre
principales religions du monde ont donc façonné l’histoire spirituelle de l’Asie
du Sud-Est : une situation sans
équivalent. Aujourd’hui, l’hindouisme n’est plus pratiqué comme religion que par
les minorités hindoues, mais son influence culturelle reste vivante dans les
langues, les arts, l’architecture. Le bouddhisme theravada
imprègne profondément la partie continentale (Indochine). La frontière
thaï-malaise représente, avec le Sri Lanka, la limite méridionale de l’expansion
mondiale du bouddhisme. Celui concerne environ 32 % des habitants d’Asie du
Sud-Est.
L’islam concerne surtout
l’Insulinde. L’Indonésie est le premier pays musulman du monde (87 % des 200
millions d’habitants), même s’il s’agit d’un Etat laïc. L’archipel indonésien
représente par ailleurs la limite orientale de l’expansion mondiale de l’islam.
En tout, l’islam représente 39 % des croyants de la région. De façon générale,
l’Asie du Sud-Est est une chance pour l’islam. Il y montre un visage plus
tolérant et compatible avec la modernité que dans le reste du monde.
Enfin, les Philippines
furent longtemps la limite extrême-orientale de l’expansion mondiale du
christianisme, lequel gagna ensuite l’Océanie. Aujourd’hui encore, elles sont le
seul Etat asiatique à majorité chrétienne, avec 90% de Catholiques romains. En
tout, avec les puissantes minorités du Vietnam, de Birmanie et d’Indonésie, les
Chrétiens sont environ 19 % dans la région.
A ce tour d’horizon, il
faudrait ajouter la présence de l’hindouisme en certains lieux, des religions
chinoises, du caodaïsme au Vietnam, et de l’animisme. On retiendra surtout de ce
panorama qu’un trait singulier définit et distingue l’Asie du Sud-Est : elle est
le carrefour et le point d'aboutissement des grandes aventures religieuses de
l’humanité. Il y a là un décor et des acteurs tout à fait uniques. Reste à
trouver le scénario permettant à tous ces acteurs de jouer leur rôle ensemble,
pour un bien commun, et non chacun de son côté.
3.2.1.7 L’Asie du Sud-Est et
le dialogue des cultures
Le brassage des ethnies, la
succession des religions, la diversité des apports coloniaux, ont créé en Asie
du Sud-Est une mosaïque de cultures sans équivalent dans le monde. Les deux
géants de l’Asie (Chine, et surtout Inde) ont apporté l’influence première, et
peut-être décisive. Les auteurs estiment en général qu’on leur doit le fond
culturel “classique” de la région. Puis les conquérants arabes ont apporté
l’islam et la culture urbaine. A partir de là, l’Asie du Sud-Est s’est trouvée
de plus en plus intégrée à l’histoire mondiale. Quant à l’intégration dans la
modernité politique et économique, elle s’est faite par le biais de
colonisations très diverses : portugaise à Timor, espagole puis américaine aux
Philippines, française en Indochine, britannique en Birmanie et Malaisie,
néerlandaise enfin en Indonésie. L’épisode japonais, bref, fut nénanmoins
décisif pour le destin politique de ces peuples. Enfin, il faut tenir compte du
jeu des influences idéologiques pendant la guerre froide. Autant d'influences
auraient pu disloquer l'Asie du Sud-Est. Non seulement ce n'est pas le cas, mais
l'émergence de cette région est en train de se faire en mobilisant tous ses
héritages dans un dessein commun. Comme le note Rodolphe de Koninck,
On peut concevoir l’Asie du Sud-Est comme ayant mené à l’accumulation de sédiments ou ... à la formation de strates successives. De telles couches sédimentaires ne se sont pas seulement superposées au fil des siècles mais aussi (...) entrecroisées, la somme des influences extérieures ayant été considérable dans la région. [45]
Plusieurs facteurs rendent
la richesse culturelle de l’Asie du Sud-Est troublante. Pour schématiser sans
dénaturer, on peut brosser le tableau suivant : à l’est du globe, dans une
région que certains ont appelé la Méditerranée d’Asie, les quatre plus grandes
religions du monde (hindouisme, bouddhisme, christianisme et l’islam) ont
convergé et atteint les limites mondiales de leur expansion, que ce soit vers
l’est ou vers le sud. Là, si l’on tient compte du repli de l’hindouisme comme
religion vécue, elles ont fini par constituer trois grandes masses qui se
regardent de part et d’autre de cette Méditerranée : L’Indochine concentre au
nord la première population bouddhiste du monde, l’Indonésie concentre au sud la
plus forte population musulmane du globe, et les Philippines sont le plus grand
pays chrétien d’Asie. Et quatre grands colonisateurs ont laissé leur empreinte
dans la région : Britanniques et Français se sont plutôt répartis le continent
et la péninsule où prédomine le Bouddhisme, tandis que Néerlandais et Espagnols
s'emparaient des archipels du sud et de l’est, s’y combinant respectivement avec
des masses musulmanes et catholiques. Le plus remarquable, pour l’avenir de
cette région et du reste du monde, est la volonté de se donner un dessein commun
:
"Là
réside le grand défi que jette l'ASEAN : la possibilité d'une communauté où se
trouveraient massivement représentées toutes les grandes cultures."[46]
3.2.1.8. Un centre
d’accumulation et de synthèses
La tâche de l’ASEAN n'est
pourtant pas insurmontable. La répartition géographique et hisorique de ces
cultures si diverses s’est faite jusqu’ici plutôt harmonieusement, en sorte que
"le sud-est asiatique est moins un lieu de division qu'un centre d'accumulation
et de synthèse."[47]
Pour comprendre la suite, esquissons à grands traits la genèse de ce patrimoine
culturel hors du commun. On peut discerner quatre couches superposées en Asie du Sud-Est, correspondant à quatre grands âges de son histoire
culturelle.
- Le fond
animiste et les minorités d’Asie du Sud-Est
La plus ancienne couche est
aussi la population la plus marginalisée de l’Asie du Sud-Est. Sous le nom
générique de “minorités” on désigne un peu partout des peuples chassés des
plaines fertiles par les couches d’immigration successives, et qui ont trouvé
refuge dans les montagnes, pour y pratiquer l’essartage. La plupart de ces
peuples ont gardé des cultes animistes et restent relativement en marge du monde
moderne. Ces peuples sont sans doute le fond culturel de l’Asie du Sud-Est, que
n’ont pas effacé les couches successives. Comme le souligne l’Encyclopédie Axis
: “il existe une forme d'unité des conceptions antérieures à l'indianisation :
dans le domaine religieux, par exemple, le culte des dieux du sol et de la
nature, le culte des ancêtres et l'importance des cultes funéraires, la
sacralisation des sommets comme centres de la Terre et lieux de communication
avec le Ciel.”[48]
- L'indianisation :
Avec l’introduction de l’hindouisme et du bouddhisme, elle a légué à l’Asie du Sud-Est, ce qu’on peut appeler son moyen-âge, visible dans beaucoup de ses langues, son architecture, et une grande partie de ses croyances actuelles.
·
On dénomme indianisation une longue
période d’influence culturelle et politique de l’Inde, qui déboucha sur la
formation d’Etats hindouisants ou royaumes agraires. Véhiculée en bonne partie
par les marchands, l'influence de l'Inde se manifesta surtout dans l'écriture et
les croyances religieuses, qu'elles soient bouddhistes ou hindouistes Tous les
peuples de la région connurent peu ou prou cette indianisation, à l’exception
notable du peuple vietnamien, le seul de la zone à avoir été directement sous
influence chinoise et donc confucianiste.
·
La formation de ces royaumes agraires
se fit à la jonction des plaines et de la mer, puis à l'intérieur des terres.
"Rassemblées autour d'une royauté de droit divin, les sociétés hiérarchisées et
organisées en castes façonnèrent, en défrichant la forêt, des royaumes rizicoles
concentriques. Des cités agraires, centrées sur des temples-montagnes, furent
érigées au coeur de vastes systèmes hydrauliques." [49].
Comme exemples de ces royaumes agraires, on peut citer Pagan en Birmanie (fin
XIe - fin XIIIe), Sukkothaï en Thaïlande (fin XIIIe - milieu XIVe), Angkor Vat
au Cambodge (XIe - XIIIe). Ces royaumes agraires sont les embryons des Etats
actuels. "Partout on retrouve le même primat de la riziculture, la même ubiquité
des fonctionaires royaux, émissaires privilégiés de la volonté centrale, ainsi
que le rôle des ordres religieux bouddhistes, sivaïtes ou vishnuistes, qui comme
en Europe les cisterciens, prennent souvent l'initiative et ouvrent la forêt
pour leur propre compte ... L'individu n'existe pas comme tel, chaque membre de
la collectivité se trouvant pris dans une trame contraignante de relations
réciproques, de suzerain à vassal, aîné à cadet, de patron à dépendant."[50]
·
Dans la vision du monde indianisante,
la notion de l'espace reste essentiellement cosmologique, la cité des hommes est
un microcosme du cosmos divin. Emblématique de cette vision du monde est la
géométrie en fonction des quatre orients, la cité-mandala (Angkor, Chiang Mai,
Jogjakarta, Mandalay).
- L’apport de l’islam et le
début des réseaux marchands
Ce moyen-âge de l’Asie du
Sud-Est va s’effondrer sous l’effet de plusieurs causes : invasions mongoles,
qui précipitèrent les peuples du Sud de la Chine vers les plaines du Mékong,
déclin de la route de la soie, arrivée des marchands musulmans par la mer. A la
veille des temps modernes, alors que s'estompait l'influence indienne, les
progrès de l'avancée thaïe, de l'emprise chinoise et du prosélytisme musulman,
rompirent l'ancien équilibre régional et tendirent à créer un nouvel équilibre social
Les Mongols conçoivent pour
un temps une immense entité politique qui aurait rassemblé des mondes restés
jusqu'alors étrangers, mettant en relation les marches orientales de l'Europe
avec le monde iranien et le nord-est de l'espace chinois. Mais les Mongols
n’avaient sans doute pas de pour légitimer leur hégémonie. C’est donc l’islam
qui gagne la région, essentiellement le sud. Va alors se développer le système
du sultanat malais. (Malacca, Aceh, Banten, Macassar, Ternate, Brunei,
Banjarmasin). L'ère du commerce international commence, le malais devient la lingua franca de l'archipel. "Comparables à Venise ou à Gênes, ces
cités portuaires dépendent des réseaux maritimes qui les unissent à l'outre-mer,
beaucoup plus que des territoires limitrophes"[51].
Le port et le marché deviennent les lieux essentiels de villes cosmopolites. Les
notions de temps et d'espace se modifient. "De cosmologique, l'espace devient
peu à peu géographique, le mandala cède à la carte et, avec l'idée d'une Umma
centrée autour de La Mecque, les esprits cessent de converger vers le palais
central pour s'ouvrir aux mondes étrangers. Le temps devient peu à peu linéaire.
L'islam apporte l'idée de Création du monde et de Jugement Dernier."[52]
Sur la péninsule, le choc
mongol ébranle les royaumes agraires, et favorise l’émancipation des royaumes
thaï (Sukhotaï, Ayuthia), et la chute du royaume angkorien. Le Vietnam continue
son expansion vers le sud. Les royaumes agraires se sont maintenus mais en se
déplaçant vers le sud et le littoral. L'islam est resté minoritaire. La cité
marchande ne constitue qu'un quartier périphérique.
- Les
colonisations
L’intrusion des Européens
remonte aux grandes explorations de la Renaissance. Seuls les Ibères tentent
alors de mener une aventure coloniale complète : les Portugais à Timor et les
Espagnols aux Philippines, qu’ils conquièrent depuis leurs possessions du
Mexique. Ils évangélisent l’archipel et tentent d’urbaniser la population. En
1898, les Américains, se posant en libérateurs de l'oppression espagnole,
s’emparent des Philippines. Ils y voient un tremplin aux portes de la Chine. Ils
ne résistent pas à l’invasion japonaise de 1941, et accordent l’indépendance
après la guerre, tout en gardant longtemps des bases navales.
Les autres puissances
européennes voulurent surtout au départ assurer la sécurité des détroits par
lesquels s’effectuait le commerce
des épices, ouvrir des comptoirs, et développer près de ces comptoirs
leurs propres cultures de plantation. Ce fut le cas de la Compagnie des Indes
Néerlandaises (CIN) à Java. Lorsque l’Etat néerlandais prendra ensuite le relais
de la CIN, ce sera pour coloniser toute
l’Indonésie (guerre de Java en 1825- 1830, guerre d’Aceh de 1873 à 1903).
Les Anglais se concentrent
sur la péninsule malaise et ouvrent des ports. Ils contrôlent Malacca (1795),
puis Singapour (1819). En 1830, l'East
India Company négocie les Straits
Settlements (Règlements des détroits). A partir de 1874-1896, les Anglais
administrent directement la Malaisie. Entre 1819 et 1823, se forme la ville
internationale de Singapour qui prend son essor commercial avec la production
d'étain et d'hévéa dans la péninsule. Plus tard s'affirma le rôle militaire de
l'île. La conquête de Bornéo se fit plus tardivement, pour des motifs
commerciaux et pour lutter contre la piraterie. L'occupation de la Birmanie
reposa sur la force. Les Birmans entrèrent en conflit avec les intérêts
économiques anglais. Les Anglais vont pénétrer en Birmanie de 1824 à 1886. La
Birmanie sera province de l'Empire des Indes jusqu'en 1937.
La colonisation française se
concentra sur l’Indochine, motivée principalement par le désir de se ménager une
ouverture vers la Chine. Les Français étaient présents au Vietnam depuis le
XVIIe. L’évangélisation réussit malgré de sévères persécutions. Mais la France
eut peu de succès commercial. La colonisation du Vietnam aura pour prétexte la
défense des Chrétiens. Ceux-ci intervenaient dans les affaires vietnamiennes et
furent durement châtiés XIXe siècle. Les Français prirent Tourane en 1858 et
Saïgon en 1860. Ayant établi un protectorat au Cambodge (alors que Norodom
voulait se protéger du Siam), les Français en font un Etat-tampon entre Siam et
Vietnam. Le Laos, qui risquait d’être englouti par le Siam, devint également
protectorat de la France en 1893, par l’oeuvre d’Auguste Pavie. En 1884, la
France fait accepter à l'Empereur de Hué le protectorat de la France sur l'Annam
et le Tonkin (la Cochinchine était déjà colonisée). Le protectorat est offert au
Laos en 1893. Se crée alors l'Union indochinoise. Saïgon en est la première
capitale et devient la tête de pont des activités commerciales.
Les Anglais et les Français
encerclèrent alors le Siam, qui garda son indépendance.
Comme résultat de ces
colonisations, la couche la plus visible de civilisation est la couche de
modernité occidentale. Les frontières actuelles des 10 Etats-nations de la
région sont en grande partie un héritage colonial. 9 de ces pays furent des
colonies dont les richesses économiques et les infrastructures furent orientées
vers leurs diverses métropoles. Le développement économique en garde encore les
traces. La plupart des grandes villes de la région portent encore les vestiges
d’architectures coloniales. Il faut aller dans l’intérieur des terres, vers les
anciennes capitales royales, pour trouver une forme d’urbanisation vraiment
locale. Les colons eurent aussi l’influence que l’on sait sur la romanisation de
certaines langues de la région. Ils ont laissé des structures socio-économiques,
mais aussi politiques, ainsi que des modes de pensée et des aspirations (droits
de l’homme, libertés, justice) qui sont de plus en plus.
Là encore, nous sommes
devant un cas de figure sans aucun équivalent dans le monde pour un ensemble qui
ne compte guère que dix pays. De manière quelque peu schématique, nous pouvons
dire que le paysage culturel et religieux de l'Asie du Sud-Est se compose ainsi
:
· Hanoï, la porte septentrionale de l'Asie du Sud-Est, représente l'ancrage continental de l'Asie du sud-Est, son ouverture sur la Chine et son dialogue avec la civilisation chinoise. Hanoï peut donc être considérée comme le symbole du confucianisme en Asie du Sud-Est. C'est aussi le symbole de la présence française, ou de ce qu'on peut appeler la francophonie dans cette région. (Le sommet des pays francophones s’y est tenu en 1997)
· A la quasi verticale d'Hanoi, la ville de Jakarta est la porte méridionale de l'Asie du sud-Est, son ouverture vers l'Océanie. La ville est le symbole de la présence de l'islam en Asie du Sud-Est, dans le plus grand pays musulman du monde. Enfin, l'ancienne Batavia symbolise la présence néerlandaise dans la région. La verticale Hanoï-Jakarta représente par ailleurs le passage de l’Asie à l’Océanie.
· La ville de Rangoon représente la porte ocidentale de l'Asie du Sud-Est, son ouverture sur l'Inde. La ville et d'autres villes birmanes sont les plus éclatant symboles du bouddhisme theravada dans la région. Rangoon symbolise enfin la présence britannique en Asie du Sud-Est.
·
A l'autre bout d'une quasi horizontale
qui croise la verticale Hanoï-Jakarta au-dessus du Laos, se trouve Manille :
porte orientale de l'Asie du Sud-Est, elle est son ouverture vers le Pacifique.
La ligne Rangoon-Manille est un trait d'union entre l’Océan indien et l’Océan
Pacifique. Manille représente la présence du christianisme en extrême-orient, et
longtemps sa limite orientale extrême. La ville symbolise aussi la présence
espagnole puis américaine dans la région.
Jusqu'ici, aucun effort n'a
été entrepris pour mettre en valeur ces prédispositions étonnantes, fruit d'une
très longue histoire religieuse et culturelle, dont le sens peut apparaître
décisif au moment où cette région entre dans la zone de civilisation qui
dominera le vingt-et-unième siècle.
3.2.2- L'ASIE DU SUD-EST EST
UNE REGION MEDIATRICE
Pour être un artisan de
paix, l'Asie du Sud-Est doit jouer de sa nature de microcosme, de musée
vivant. Mais aussi de sa fonction
médiatrice que la géographie et l’histoire lui ont données. Rodolphe de Koninck
a parfaitemernt su exprimer comment cette double vocation de musée et de
carrefour entre deux mondes caractérise la région : "Situé entre le monde
chinois et le monde indien, s'y rattachant tout en s'en dégageant, le Sud-est
Asiatique représente l'aboutissement de l'Asie, son terme au contact du monde
tropical et océanique. Mais c'est aussi un lieu de convergences, un carrefour,
une synthèse de l'Asie : une synthèse qui est à la fois l'occasion d'une
transition, ou plus exactement d'une poursuite de l'Asie au-delà du domaine
continental ... Une région qui se définit tout autant par sa localisation au
terme de l'Asie, en situation de carrefour et de transition, de pont
bi-hémisphérique, que par sa position de centre, d'axe ou de pivot, entre deux
océans, entre masse continentale et dispersion océanique, entre l'Asie et
l'Australie."[53]
3.2.2.1 Médiatrice entre la
Chine et l'Asie
L’Asie du Sud-Est est
d’abord médiatrice entre la Chine et
l’Inde, les deux pays les plus peuplés du monde, détenteurs de civilisations
très anciennes et très complexes. La partie continentale de l’Asie du Sud-Est
est d’ailleurs parfois appelée Indochine. Il s’agit d'abord d’une médiation
géographique et culturelle. L’Asie du Sud-Est assure un passage graduel de la
civilisation indienne hindo-bouddhiste (Rangoon) à la civilisation chinoise
bouddho-confucianiste (Hanoï). Mais la médiation exercée par l'Asie du Sud-Est
est aussi une médiation politique et économique appelée à se renforcer dans le
cadre des projets de l'ASEAN. Sur la carte, nous avons matérialisé cet arc de
cercle par la lettre (A). On doit noter que cette région septentrionale de
l’Asie du Sud-Est est aussi celle où le développement politique et économique
reste le plus lent, mis à part le cas de la Thaïlande.
3.2.2.2 Médiatrice entre
l'Océan Indien et l'Océan Pacifique
Au sein de l'aire pacifique,
l’Asie du Sud-Est représente le trait
d’union entre l’Océan indien et l’Océan Pacifique. l’Insulinde assure la transition entre
deux civilisations et fut de tout temps le canal du commerce et de la
pénétration des religions et des cultures. Cet arc-de-cercle inter-océanique,
matérialisé par la lettre (B), traverse Tavoy-Bangkok, Kuala Lumpur, Singapour,
Brunei et Manille. La civilisation y est d’abord continentale (Birmanie), puis
péninsulaire (isthme de Krâ), enfin insulaire (nord de Kalimantan et
Philippines). Cet arc de cercle est le plus métissé de la région sur le plan
culturel et religieux : on y passe successivement du bouddhisme à l’islam et de
l’islam au christianisme. Ici, le métissage va de pair avec la plus grande
modernité, tant politique qu’économique. Les régions que traverse cet arc de
cercle sont stables politiquement, et prometteuses d’évolution vers une
démocratie portée par des classes moyennes. Ce sont aussi les plus riches. De
façon très curieuse, les principaux gisements de pétrole off-shore d’Asie du
Sud-est se trouvent presque tous le long de cet arc de cercle. La prospérité de
cette zone “métissée” culmine à Singapour. Cette région comprend les détroits les plus fréquentés du globe et
représente un des enjeux stratégiques majeurs du commerce et de l’équilibre des
forces mondiales.
3.2.2.3 Médiatrice entre
deux continents
L’Asie du Sud-Est est enfin médiatrice entre deux continents : L’Asie et l’Océanie. Cet arc de cercle (C) enfile le collier des 13 000 îles de l’archipel indonésien du nord de Sumatra à Irian Jaya. L’Indonésie partage avec la Turquie (autre Etat musulman laïc) la singularité d’être à cheval sur deux continents. Son extrêmité orientale partage la deuxième île du monde avec l’Etat océanien de Nouvelle-Guinée. L’Australie est à une heure d’avion de Timor. Ce troisième arc de cercle peut paraître plus “uni” que les deux autres : uniquement insulaire, limité à un seul Etat (l’Indonésie, le plus vaste et le plus peuplé de la région), avec une religion dominante : l’islam.
La géographie et l’histoire
ont doté l’Asie du Sud-Est d’une configuration sans équivalent. Nulle part on ne
trouve aujourd’hui un concentré aussi divers de peuples, de régimes politiques,
économiques et sociaux, de cultures et de religions. En cette fin du vingtième
siècle, il se trouve qu’environ un habitant sur dix de la planète habite cette
région, qui est un musée de géographie et d’histoire. Cette région s’unifie
politiquement et économiquement, en quête d’un grande dessein. Comme le souligne
Rodolphe de Koninck,
L’ASEAN est progressivement devenue un outil de concertation
économique et commerciale favorable aux pays de la région et un forum
diplomatique tout aussi efficace. On est encore loin de la communauté
européenne. Mais ici aussi la candidature de pays meurtris par l’expérience
communiste souligne combien l’ensemble du Sud-Est asiatique représente, à
l’extérieur des grandes régions déjà industrialisées de la planète, celle qui
est la plus susceptible de profiter de la somme immense de ses propres
héritages.[54]
Et d’en faire profiter le
reste du monde, pourrions-nous ajouter. Est-il trop lyrique de dire qu’une
partie cruciale de notre destin collectif se joue là-bas ? Peut-être, et cela
explique la persistance d’élans visionnaires, de pulsions messianiques, dans
cette région du monde. Rien d’étonnant : les autres Méditerranées du monde ont
connu des destins similaires. Mais on peut aussi voir cela de façon non
chimérique et en faire la base d’une démarche rationnelle en vue de la paix.
Le reste du monde est fondé à placer les plus hauts espoirs dans cette région : si elle réussit à consolider la paix, les retombées de cette “shalom” seront planétaires. Alors comment faire avancer le “théâtre de la paix” dans ce qui fut, il n’y a pas si longtemps encore, un théâtre de guerre ? Il faut à la fois un bon scénario et de bons acteurs. Ne doutons pas qu’il y ait en Asie du Sud-Est, d’excellents artisans de paix, dans tous les milieux. Plusieurs scénarii sont possibles. Celui que nous proposons met beaucoup l’accent sur la culture. Il accorde, nous le verrons, un rôle important à l’acteur jusque là le plus négligé : le Laos. Nous allons maintenant expliquer pourquoi.
4.
LE LAOS, EN ASIE DU SUD-EST, ET DANS LE MONDE